Aujourd’hui nous avons décidé de partager avec vous cet article très instructif, agrémenté d’une touche d’humour : Françoise Danflous, lexicographe et enseignante à l’Università degli Studi de Milan, nous emmène sur les traces du mot « bistouri ». Un parcours mouvementé !
« Mais que diable fait l’éminent docteur Ambroise Paré, chirurgien des rois et précurseur de la médecine judiciaire (les séries américaines savent-elles ce qu’elles lui doivent ?) avec ce petit mot inconnu et sans famille qui ressemble plus à un nom de nounours qu’à un extraordinaire instrument de découpe ?
Bis-tou-ri. Il y a des mots comme ça, tout ronds et sympathiques sans qu’on sache au fond pourquoi. Sauf qu’ici, mazette, pour un instrument qui fait si peur, on pourrait s’en étonner. De quel chapeau sort-il ? Y reconnaître des consonances transalpines seulement pour le i de la fin serait assez tiré par les cheveux. Pourtant, c’est bien en Italie qu’on lui attribue des origines, plus précisément à Pistoia, petite ville toscane connue dans le monde occidental de l’époque pour l’excellence de ses lames et armes blanches. Notre docteur ne choisit pas l’incongru : lame, couteau, scalpel, tout colle même si, bien sûr, les affinités entre Pistoia et bistouri ne sautent pas encore aux yeux. C’est que les mots, comme vous et moi, changent d’allure avec le temps et au long de leurs pérégrinations. Il y avait, pour désigner ces légendaires couteaux italiens, un lointain « bisturino », altération de « pistorino », qui voulait dire, nous y sommes, « de Pistoia ».
Le français l’adopta et puis, de bouche en bouche, finit par le former à ses intonations : « bisturino » devint alors naturellement bistouri. Avec son invention, le docteur Paré lui donna et pour toujours les sens et renom qu’on lui connaît aujourd’hui, médicaux et non plus militaires, sauvant des vies au lieu de les réduire en charpie. Oui mais les mots sont ingrats. Voilà qu’un siècle après son arrivée et son succès en France, bistouri fit un rebond dans sa langue maternelle. L’Italie reçut ainsi le rare, prodigue et désormais très français bistouri du docteur Paré, chargé d’un nouveau sens, de relents d’éther et de salle d’opération, qu’elle ne reconnut pas comme sien. Et voilà que, c’est le comble, elle s’empressa de l’italianiser en « bisturi » (comprenons bien : on italianisa un mot déjà italien), faisant tomber le « o » et déplaçant l’accent.
Depuis, les dictionnaires italiens le déclarent issu « dal francese », du français. C’en est fait. Maintenant, toute paternité provinciale gommée, le mot de Pistoia reste, définitivement et sans retour, celui de monsieur Paré, auguste chirurgien des rois et reines de France. Tout beau, tout neuf, tout célèbre, tout royal et se gardant bien de rappeler ses origines roturières. Comme quoi, les mots sont aussi, parfois, de sacrés sales gosses. »
Françoise Danflous, LePetitJournal.com, 29/07/2020
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Image : 1) Portrait gravé d’Ambroise Paré, 1582. Bibliothèque Interuniversitaire de Santé, Paris. 2) Outils d’Ambroise Paré, 1582. Historical Medical Books at the Claude Moore Health Sciences Library, University of Virginia